Variétés de souveraineté. Des pays arabes, par l’Union Européenne à la Confédération helvétique.
Les régimes politiques arabes sont actuellement à l’épreuve de leur compatibilité avec leurs opinions publiques. Les révoltes et surtout leurs causes et les personnages et/ou groupements qui les animent, ne manqueront pas de nous occuper et inquiéter. A défaut de pouvoir les classer et reconnaître comme „démocratiques“, nous les avons néanmoins considérés comme étant l’expression d’une spécificité arabe, constituée elle-même d’une forte composante religieuse et tribale. Stables au surplus et assurant une coexistence entre pays à régimes politiques assez divergents, ils ont servi parfaitement nos intérêts économiques et politiques et pour l’instant, rien ne permet de s’attendre à ce que ceux-ci soit mieux servi à l’avenir.
Il ne faudra pas oublier que ces mêmes régimes sont nés eux-mêmes de révoltes contre le colonialisme et des monarchies anachroniques. En tant que forces libératrices et révolutionnaires, ces mouvements semblaient annoncer à l’époque la renaissance de la culture arabe et islamique. Les révoltes et soulèvements populaires contre les occupants étrangers présageaient la restitution de leur identité et leur souveraineté. Dirigés contre les monarchies obsolètes, ils visaient l’idéal républicain du peuple souverain. Hélas, le triste résultat de presque toutes ces révolutions, pleines d’optimisme et d’espoirs, n’aura finalement été que l’installation de dictatures parfois pires que celles contre lesquelles les avant-gardes de ces peuples s’étaient élevés. (La répression exercée par le Front Populaire d’Algérie après son indépendance a coûté un multiple de vies humaines comparé à la guerre d’indépendance menée contre la France). La révolte populaire, conduite le plus souvent par une partie infime seulement de la population, n’est pas la „révolution“ et la souveraineté du peuple ne fera pas forcément suite au soulèvement dit populaire. On cherche donc dans ces pays des hommes et des femmes, capables de diriger le peuple dans la voie que celui-ci a choisie. Aucun régime, autre que la démocratie parlementaire (celle qui mérite cette dénomination), n’a su conserver et développer cette souveraineté du peuple, les droits de l’homme et les libertés fondamentales y attachées. Il existe bien sûr des variétés de démocraties fonctionnant au régime parlementaire: Vous apprécierez à sa juste valeur les parlements de la Russie, de l’Iran, de la Chine populaire et de la plupart des Etats africains.
Il est vrai également que de solides dictatures sont sorties de quelques régimes parlementaires absolument corrects à l’origine, comme les premières douma russes pré-léninistes et le parlement allemand sous la République de Weimar.
Au moment d’écrire ces lignes, je pense à la confiance que nos politiques (européens) accordent aujourd’hui à leur propre population, à leur peuple souverain à d’autres occasions! Demander l’avis du peuple, c’est le cauchemar de tous les politiques, qu’ils dirigent des régimes de gauche, de droite ou du centre. Pensez à leurs états d’âmes lors de la ratification du Traité de Lisbonne! Plus jamais cela! Figurez-vous qu’après 20 années de négociations avec la Turquie, les peuples européens disent NON à l’adhésion de celle-ci!
Il y a donc apparemment des circonstances où le comportement des gérants de la démocratie parlementaire ne cadre pas avec l’opinion majoritaire du peuple. Faut-il corriger le système en y ajoutant des précisions et rappels à l’ordre à l’adresse de nos représentants ? Les malintentionnés nous renverront au vestiaire avec l’argument que nous vivons dans une démocratie représentative dirigée par ceux et celles que nous élisons périodiquement.
La démocratie représentative est-elle l’aboutissement de la démocratie ? La réponse positive serait la négation du progrès humain et.. excusez-moi du peu, le dédain exprimé pour le modèle de la démocratie directe, vécue non pas dans une société tribale dans l’Amazone, mais dans un pays du continent européen.
Il est donc inévitable de nous demander si notre vieux modèle de démocratie parlementaire tiendra encore sur les routes de l’avenir de nos propres pays et de la Communauté à laquelle nous adhérons…
Ce n’est pas la perfection dit-on, mais c’est le meilleur système possible. Ce constat ne nous dispense cependant pas de réfléchir à l’approfondissement de nos modèles de démocraties. Nées à la fin du 19e siècle, balbutiants au début du 20e siècle, elles se sont consolidées depuis les années 1950, par dépit et peut-être malgré les soi-disant „démocraties populaires“, modèles préconisés de façon naïvement sérieuse et sincère par une certaine gauche européenne. Depuis lors, on ne peut dire que notre modèle qui s’est bien vendu dans certains pays de l’Est, ait connu des améliorations qualitatives tangibles. Il est curieux de constater que nous avons conservé l’idée de la „représentation“ de l’électeur par ses élus, par opposition à la démocratie directe, pratiquée notamment en Confédération helvétique. Loin de moi de dénigrer les progrès réalisés sous notre démocratie représentative ou d’introduire une discussion philosophique ou juridique sur les avantages du modèle de la démocratie directe. Je me pose seulement des questions. A une époque où peu de gens avaient les loisirs de s’occuper de „politique“, qu’il y avait beaucoup de gens illettrés ou peu instruits, il semblait normal de confier ses intérêts à des gens de confiance, si possible instruits et certainement intelligents. Aujourd’hui encore, le mandat donné par un citoyen à un parti politique et spécialement à une personne de son choix, me semble être une condition absolue du fonctionnement des institutions. Cela signifie pour moi également le refus absolu de l’interdiction projetée du „panachage“! Cependant, ce qui est prévu comme mandat à un politique, ne constitue souvent qu’un blanc-seing donné à une personne que souvent on ne connaît guère et à un parti qui ne se tient pas forcément toujours ni à ses principes ni à ses promesses électorales.
Des instruments comme la Tripartite ont échoué et peut-être ne faut-il pas le regretter: Nous avons donné mandat politique à des députés, à un parti qui lui, le transmet à un syndicat. Pourquoi faut-il que le citoyen doive encore être représenté à un degré supérieur, au-delà des partis, par des organismes le plus souvent corporatistes, c’est dire assez éloignés de la défense des intérêts généraux de la Nation. Il est évident que depuis des années, l’intérêt pour la politique continue de diminuer. Ce n’est toutefois pas une raison pour subdéléguer un mandat électoral. Aux sociologues d’en trouver les causes profondes : l’homme de la rue dira : „Ils font de toute façon ce qu’ils veulent!“
Il est curieux de constater que ce désenchantement n’existe pas en Suisse. Dans un livre intitulé „Le modèle suisse“ avec comme sous-titre : „Pourquoi ils s’en sortent beaucoup mieux que les autres“, l’auteur François Garçon examine certaines différences des structures politiques, des habitudes et mentalités par rapport à d’autres pays européens. Démocratie exemplaire, démocratie rustique et paradoxale, démocratie directe et participative, système de formation hors normes, dynamisme économique et pragmatisme social, retour sur la fiscalité, éloge de la concurrence et de l’identité… voilà les thèmes de son discours extrêmement instructif, intéressant et parfois déroutant. On n’en revient pas. Il est évident que la Suisse est confrontée avec des problèmes semblables, sinon identiques à ceux qui se posent dans l’Union Européenne: la crise économique, financière, la globalisation, l’intégration, la sécurité sociale et les pensions. Heureuse Suisse qui s’est donnée des institutions pour résoudre ses problèmes. Un exemple: La France et la Belgique, parmi d’autres pays de l’Union sont à la recherche de leur identité. Pas de problème pour la Suisse, une confédération de 26 (!) Etats, avec quatre langues et au moins autant de religions et l’on se demande ce qui explique cette identité suisse, qui a le mérite d’exister… A l’heure où l’Union piétine dans ses multiples problèmes et est paralysée dans le domaine de la politique extérieure, il semble que toujours moins de citoyens suisses envisagent encore sérieusement de rejoindre cette Union apparemment moribonde. Pire, l’euroscepticisme gagne parallèlement du terrain dans l’Union. Je ne puis que supposer que les dirigeants suisses n’auraient jamais pu faire passer notre fameux paquet d’austérité sans passer par une consultation populaire: exercice tout à fait normal qui ne conduit nullement à la démission du Gouvernement si le peuple désapprouve le projet! Signalons que pour une augmentation quelconque minimale du taux de la TVA, les Suisses doivent donner leur accord par votation. Gageons par contre que notre Gouvernement aurait pu faire passer par référendum son point de vue relatif à la loi sur l’indexation automatique des salaires. Il en serait probablement de même avec de nombreux problèmes, bloqués actuellement par des forces conservatrices et corporatistes. Et cette fameuse question de la compétitivité: La Suisse ne se place-t-elle pas en tête du classement de la compétitivité mondiale en 2009 et 2010, ceci, malgré(ou peut-être à cause) des salaires médians parmi les plus élevés du monde? En Suisse, sont syndiqués 22,5% de la population active, à peine 8% en France! Avec un excédent budgétaire de la Confédération de 600 millions de francs en 2010, il ne faut pas croire que cela est dû à la manne du secret bancaire, mais cela tient à la gestion publique sobre. L’Etat „light“, exigé sur le bout des lèvres par tous nos partis politiques restera à tout jamais notre utopie chérie, au moins aussi longtemps que seuls ceux qui s’y opposent en décideront. Si vous savez que l‘armée suisse n’est pas placée sous le commandement d’un officier Général (à nommer qu’en cas de guerre imminente) mais par un colonel, vous savourerez encore davantage la récente controverse au sujet de nos deux Généraux.
Mais rappelons-nous que dans un passé pas très éloigné, on appelait nos „ministres“ des directeurs généraux de leur département, non de leur ministère, terme réservé à certaines professions juridiques. Que de complexes ! On croit rêver en apprenant le nombre de fonctionnaires au service de l’Etat Fédéral Suisse, de la rémunération des parlementaires et conseillers fédéraux (les „Ministres“) La Suisse a pu observer qu’elle ne forçait pas la sympathie automatique hors de ses frontières. C’est la rançon de sa tranquillité politique qu’embaume son bonheur économique, avantages comparatifs insupportables tant il souligne par contraste les errances de ses voisins. Les plus pavloviens ou les plus mal intentionnés n’hésitent pas à mettre cette félicité suisse au compte de ses tripatouillages financiers, oubliant que la Confédération helvétique est d’abord et avant tout une puissance économique, fondant sa prospérité sur la recherche, ses universités, ses industries de pointe, le tout suivi par une population laborieuse qui n’use pas ses semelles dans les défilés corporatistes rappelant irrésistiblement le XIXe siècle.
Une réflexion approfondie sur l’amélioration de nos institutions est toujours à l’ordre du jour et pourquoi ne devrait-on pas regarder du côté de la Suisse, puisqu’il n’y a d’exemple à suivre que celui qui fonctionne.
Paul Leroy-Beaulieu prévient en 1899 : „Le référendum est l’arme défensive que les sociétés doivent tenir en réserve contre les entraînements de leurs mandataires irrévocables“.
Jamais un livret de trois cents pages ne m’a donné autant d’idées, d’espoirs pour voir bouger les choses dans un sens positif, également au Luxembourg, dans le sens d’une vraie démocratie développée, progressiste et participative dans le respect également des avis minoritaires au Parlement (qui sont souvent majoritaires dans la population) et du respect des libertés individuelles. (Je laisserai aux spécialistes la question d’examiner l’interdépendance entre la démocratie d’un pays et son économie.)
Conclusion: Dans un monde que façonnent irrésistiblement les réseaux sociaux, la politique fondée sur la seule démocratie représentative est condamnée à la panne. Avec la démocratie directe sophistiquée, les Suisses, depuis plus d’un siècle, ont développé une alternative au clientélisme irresponsable. Le système suisse a non seulement fait preuve de son efficacité politique (stabilité, prospérité, démocratie) mais préfigurait l’intrusion permanente des citoyens dans l’arène du pouvoir, à quoi désormais les innombrables outils de communication. Mon souhait, c’est de voir se former au Luxembourg, au sein des partis et en dehors de ceux-ci, un mouvement militant pour une démocratie vivante, participative, s’inspirant du modèle suisse.
A voir:
„Le modèle suisse“, François Garçon, Editions Perrin; ISBN 978-2-262-03426-9
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